
Dans certaines mégachurches aux États-Unis, les fidèles franchissent les portes sans savoir qu’ils passent aussi sous l’œil d’algorithmes de reconnaissance faciale. Caméras haute vitesse, bases de données internes et IA transforment les lieux de culte en points de collecte de données biométriques. Ailleurs, des publicités ciblées exploitent des informations sensibles (santé, croyances, historique militaire) pour inviter de nouveaux venus à rejoindre une communauté.
Ce scénario n’a rien de fictionnel : il illustre une tendance croissante où spiritualité et technologies de surveillance s’entremêlent. Des entreprises comme Gloo, basées au Colorado, se positionnent en véritables Salesforce de la foi. Fondée en 2013, Gloo promet d’aider les pasteurs à “mieux connaître leurs fidèles” grâce à des tableaux de bord intégrant données d’engagement, dons, comportements en ligne et statistiques démographiques.
De l’évangélisation à l’analytique prédictive
Gloo et ses partenaires, comme le Barna Group, compilent des millions de points de données psychographiques et comportementaux : fréquence des prières, inscriptions à des groupes, habitudes de consommation, voire risques financiers ou médicaux. L’objectif est clair : anticiper les besoins, prévoir les dons et orienter le suivi pastoral… comme on gère un entonnoir marketing.
En 2024, Gloo a levé 110 millions de dollars pour renforcer son expansion, investissant dans des outils de sermons automatisés, de dons en ligne et même d’IA “alignées sur la foi”. Ces technologies transforment la pastorale en un système d’analytics prédictif, vendu aujourd’hui à plus de 100 000 églises américaines.
La biométrie entre les bancs
D’autres acteurs vont plus loin. L’entreprise israélienne Face-Six propose déjà Churchix, un logiciel de reconnaissance faciale déployé dans plus de 200 églises. Chaque visage est converti en empreinte numérique, comparée à une base locale pouvant inclure des “listes de surveillance”. Officiellement, cela permet de sécuriser les lieux ou de repérer les fidèles absents. Mais rarement les participants sont informés de l’existence de ce dispositif.
Questions éthiques et légales
Le cadre juridique reste très flou aux États-Unis. Seuls quelques États, comme l’Illinois avec sa loi BIPA, encadrent l’usage des données biométriques. Ailleurs, les fidèles ignorent souvent jusqu’où leurs informations personnelles – spirituelles, médicales ou sociales – sont exploitées ou revendues.
Des experts, comme l’Electronic Frontier Foundation ou des chercheurs en droit à Georgetown, alertent : l’adoption massive de ces outils menace un pilier fondamental de la vie spirituelle, l’intimité nécessaire au rapport au divin. Sans garde-fous, le risque est que des données collectées dans un cadre religieux soient réutilisées pour des campagnes politiques, commerciales ou discriminatoires.
Vers une nouvelle “OS” de la foi ?
Pour leurs promoteurs, ces outils incarnent une nouvelle révolution technologique au service des Églises, comparable à l’imprimerie de Luther. Pour leurs détracteurs, ils annoncent une ère où la vie spirituelle devient un gisement de données monétisables. Entre foi et surveillance, le futur des communautés religieuses américaines pourrait bien se jouer derrière des algorithmes.
Sources : MIT Technology Review